“Aller à la rencontre des gens, recréer du lien, écouter les gens, dialoguer, rentrer dans le débat…” Simon Perrot, Directeur Général du groupe Nice-Matin, est un homme de terrain. Depuis sa prise de fonctions fin juin 2024, il veut insuffler un nouveau souffle : l’envie de prendre des risques avec, toujours, un maximum de qualité et la proximité qui fait la force de la PQR. “On doit réinstaller notre marque dans les territoires”, martèle-t-il. Homme de médias et de communication, à la tête de l’agence de com’ de la Dépêche du Midi durant plus de cinq ans avant de rejoindre le groupe Nice-Matin, il croit beaucoup “dans la force de [leurs] marques éditeurs”. “Je sais qu’on peut être très fort ensemble, tout en respectant profondément l’identité de chacune de nos marques.” Avec, comme enjeu, de très nombreux défis à relever ! Entretien.
DS : Quel est, selon vous, le défi qui déterminera la survie ou la prospérité de la PQR dans les cinq prochaines années, et pourquoi ?
SP : Je pense que ce sera notre capacité à réinventer notre modèle tout en conservant les valeurs universelles de nos marques éditeurs. En d’autres termes, convaincre et fidéliser les différentes générations en leur offrant une expérience de contenu adaptée et, surtout, réinventée. Avec, comme fil d’ariane, l’authenticité, la confiance et la proximité de nos marques. Nous devons consolider notre positionnement de groupe de presse local cette année, avant de devenir un groupe de communication local dans le futur : c’est de cette manière que j’aime synthétiser à nos collaborateurs notre projet à court et moyen terme.
DS : Dans cinq ans, quels seront les indicateurs de succès pour la PQR ?
SP : Il y a, selon moi, des objectifs évidemment quantifiables : la part du digital dans nos revenus, le taux de pénétration de nos audiences sur le territoire, un niveau de marge brute maîtrisée, ce qui est, pour moi, l’un des enjeux de la diversification et, ce faisant, de la survie de notre groupe. Mais, avant tout, la clé du succès, c’est auprès des lecteurs et des collaborateurs que je la cherche. Je veux qu’ils conservent cette fierté de se revendiquer de nos marques. Maintenir le lien émotionnel avec les plus assidus ; et le créer avec les nouveaux.
DS : Sur une échelle de 1 à 10, où situeriez-vous votre groupe en matière de transformation numérique ?
SP : Je dirais 5. Notre principal frein, c’est notre propre organisation. L’engagement et l’enthousiasme des collaborateurs est là. C’est notre futur, ils le savent, mais c’est à nous d’accompagner ce changement, de partager notre vision stratégique avec eux et de les embarquer. On doit leur donner les moyens de réussir cette transition. On a notamment décidé d’investir dans de nouveaux outils cette année : un nouveau CMS pour notre rédaction, qui doit leur offrir une meilleure maîtrise et une plus grande réactivité sur le digital. Une nouvelle plateforme CRM pour améliorer notre relation clients, un outil de prévision et d’aide à la gestion de nos inventaires publicitaires digitaux pour la régie… Enfin, on rattrape également notre retard, tout en répondant aux vœux de nos partenaires, via une plateforme de saisie déportée pour nos annonces “carnets”.
“La qualité conditionne la confiance et la fidélité de nos lecteurs, abonnés et annonceurs”
DS : Sur quelles plateformes pensez-vous devoir être présents ? Comment vous y prenez-vous ?
SP : On est présents sur l’ensemble des réseaux sociaux, avec des contenus adaptés aux usages et aux profils de nos abonnés. On applique une stratégie omnicanale pour créer de l’affect, générer du trafic, acquérir de nouveaux abonnés, mais aussi et surtout engager ces abonnés et créer de l’interaction avec eux. Comme tous les groupes de médias, on s’interroge sur notre place sur X : on est tiraillés entre le souhait de quitter cette plateforme ou d’y rester pour lutter contre la désinformation, la liberté de la presse et le respect de nos journalistes. On prend notre temps, car on a engagé un véritable débat avec nos journalistes, ce qui nous amènera sous peu à décider de notre stratégie. Rester sur X, c’est un combat qui implique une grande responsabilité.
DS : Parmi les projets en cours, lequel pourrait changer la donne de votre modèle économique ?
SP : On travaille sur de nombreux projets. Avec un enjeu fondamental que j’ai fixé dans notre feuille de route 2025 : la qualité. La qualité, parce qu’elle conditionne la confiance et la fidélité de nos lecteurs, de nos abonnés et de nos annonceurs. Un exemple ? La qualité de portage qui se dégrade d’années en années. Il nous fallait réagir face à l’inertie de certaines plateformes. On a donc opéré, avec succès, la réinternalisation de certains secteurs en améliorant la qualité de portage et celle du travail si essentiel de nos porteurs.
Évidemment, cet enjeu de qualité s’applique également à nos contenus : développer l’exclusivité, l’expertise dans les thématiques, la place accordée à l’investigation, la capacité à raconter le territoire à travers les réussites et les histoires humaines… On accélère aussi sur le digital, via la refonte de nos sites qui doivent refléter nos enjeux sur les audiences, mais aussi répondre aux nouveaux usages, à la place grandissante de la vidéo… Toujours sans aucun compromis avec la proximité et la qualité !
DS : Comment pensez-vous pouvoir atteindre des publics qui ne recherchent pas activement de l’info locale ?
SP : Je pense qu’une partie de la réponse réside dans notre stratégie de diversification et dans l’événementiel. C’est un formidable levier pour aller à la rencontre de nouveaux publics, créer du lien et susciter l’intérêt pour nos contenus et nos marques éditeurs. On travaille également des formats variés : hors-séries, émissions vidéos, podcasts, vidéos immersives, newsletters thématiques, collaborations avec des influenceurs locaux… On a d’ailleurs été les premiers à lancer notre propre agence d’influence, NM Influence. En somme, on multiplie les points de contact avec ceux qui ne recherchent pas activement de l’actualité, mais qui restent sensibles à l’information lorsqu’elle leur est proposée sous un angle qui les concerne directement.
DS : Quelle partie de votre chaîne de valeur est, selon vous, la plus obsolète aujourd’hui, et comment prévoyez-vous de la réinventer pour 2025 ?
SP : Pour reprendre l’expression consacrée, on considère que “le papier n’est pas mort” : notre projet passe aussi par la modernisation de nos médias traditionnels. Et, notamment, une nouvelle maquette du journal pour renforcer la fidélisation et accueillir de nouveaux lecteurs. Cette maquette doit véhiculer notre nouvelle image sur le territoire, moderne, créative et, toujours, en proximité. Elle incarnera notre ambition de renforcer la promesse éditoriale. Mieux, on doit également s’équiper d’un nouveau centre d’impression, plus agile, moderne et réactif. Un projet d’autant plus stratégique et innovant que nous le menons en collaboration avec La Provence. Pour moi, cet exemple illustre parfaitement l’un des enjeux clés de la pérennité de notre secteur : celui de travailler en collaboration avec d’autres médias qui partagent les mêmes valeurs que nous.
DS : Quel pourcentage de vos revenus provient aujourd’hui du numérique, et où voulez-vous arriver d’ici 2030 ?
SP : Aujourd’hui, autour de 20%. Plutôt que de parler de retard, je considère que le groupe dispose d’un potentiel énorme. Cela passe avant tout par un nouveau mindset, le digital first. Cela peut paraître obsolète pour certains qui nous lisent, mais c’est une réalité pour de nombreuses entreprises dans les territoires. Le digital ne doit pas être considéré en silo, mais dans un principe d’omnicanalité à travers la transformation de nos organisations, de nos process, de nos outils, de nos projets…
DS : Quel modèle non traditionnel (hors abonnements papier ou pub classique) représente la meilleure opportunité de croissance pour vous ?
SP : Sans doute l’événementiel. On dispose de nombreux atouts. En premier lieu, nos marques éditeurs, qui bénéficient d’une forte notoriété et d’un lien de confiance avec le public. Ensuite, notre connaissance fine des enjeux et traditions locaux, notre capacité à engager nos audiences, ainsi que notre savoir-faire dans la création de contenus inédits et immersifs. Enfin, notre lien avec les partenaires locaux. Pour accélérer, on mise avant tout sur nos collaborateurs, qui incarnent nos marques et partagent notre exigence de qualité. Mais on envisage aussi d’élargir notre empreinte en nouant des partenariats et en développant une stratégie de croissance externe. On s’inspire de modèles réussis comme le Rose Festival, porté par La Dépêche du Midi, Jean-Nicolas Baylet et ses équipes, ou le Tech&Fest, développé par Le Dauphiné Libéré, qui démontrent l’impact qu’un média peut avoir en tant que créateur d’événements majeurs.
DS : Quelle initiative spécifique avez-vous lancée pour attirer les audiences jeunes, et quels résultats avez-vous obtenus ?
SP : Je dirais qu’on s’adapte surtout à leurs usages et leurs comportements, notamment sur les réseaux sociaux. Je pense qu’il est inutile de tenter à tout prix de les amener sur nos sites. On va à leur rencontre, on adopte leurs codes et on ajuste nos contenus à chacune des plateformes. On va même plus loin, via notre agence NM Influence, qui nous permet d’identifier les influenceurs clés et de collaborer avec eux pour toucher ces nouvelles audiences de manière authentique et engageante. C’est une connaissance qu’on met à disposition de nos annonceurs partenaires et qui nous permet de les accompagner dans leurs stratégies sur les plateformes et vis-à-vis des jeunes.
DS : Comment gérez-vous le dilemme entre pression publicitaire et indépendance journalistique dans un environnement économique tendu ?
SP : J’ai envie de saluer la maturité des annonceurs qui ont évolué sur ce point et parviennent de plus en plus à faire la distinction. Ils comprennent que, notre ancrage et la puissance de nos audiences, on les doit à la confiance de nos lecteurs à travers une indépendance éditoriale sans concession. Mettre à mal ce principe, c’est prendre le risque de voir notre média s’affaiblir et perdre en efficacité. En parallèle, les rédactions ont parfaitement compris qu’on pouvait conserver notre indépendance, tout en dialoguant avec ces mêmes acteurs.
DS : Avez-vous automatisé des aspects de la production éditoriale ? Si oui, lesquels, et quel impact cela a-t-il eu sur votre contenu ou vos coûts ?
SP : Nous avons trois grands enjeux autour de l’IA. Le premier, en tant que média, c’est d’informer, d’évangéliser et de dédiaboliser l’IA vis-à-vis du grand public. Nos rédactions sont particulièrement impliquées, puisqu’on appartient au consortium européen IQ Media, dont le rôle est justement d’informer sur ce sujet.
Le deuxième enjeu, c’est celui d’une entreprise qui doit se réinventer à travers l’IA pour permettre à ses collaborateurs de gagner en valeur ajoutée et d’améliorer leur efficacité et leur productivité. On a notamment organisé un cycle de formation au sein de la régie pour intégrer ce savoir et ces compétences.
Enfin, en tant que média, on doit se positionner sur les enjeux réglementaires liés à l’IA. Les grandes plateformes ont progressivement reconnu la nécessité de rémunérer les médias pour l’utilisation de leurs contenus. Il est désormais essentiel que les acteurs de l’IA s’inscrivent dans cette même logique.
DS : Quelle initiative hyperlocale a eu un impact mesurable (engagement ou revenus) dans les 12 derniers mois ?
SP : Le Club Eco des Alpes Maritimes ! On a retravaillé le modèle, qui était un peu trop autocentré sur Nice, pour valoriser chacun de nos territoires et adapter nos événements à leurs spécificités locales. Concrètement, cela se traduira par cinq grands rendez-vous, chacun organisé dans une localité différente et abordant un sujet spécifique à son territoire. Cette nouvelle approche nous permet de renforcer notre proximité avec les acteurs économiques locaux et de mieux répondre aux enjeux qui les concernent. Nos lecteurs apprécient cette approche… nos partenaires aussi !
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