Think Tank

Nicolas Sterckx (Sud Ouest) : « En 2025, les marges de nos métiers en croissance doivent dépasser le recul du papier »

Il se décrit comme un spécialiste de la transformation et du développement des entreprises. Nicolas Sterckx, Directeur Général du Groupe Sud Ouest depuis 2022, a mené auparavant des stratégies de transformation chez Webedia et Infopro Digital, travaillant notamment sur l’engagement de communautés et le passage de modèles papier à des modèles numériques. Fort de cette expertise, il applique désormais son savoir-faire avec succès aux nombreux défis de la PQR : abonnements numériques, développement de nouveaux métiers en croissance, Intelligence Artificielle… Avec, pour le Groupe Sud Ouest, une année 2025 charnière : “Les marges générées par nos métiers en croissance seront supérieures aux pertes constatées sur le papier.” Entretien.

DS : Quel est, selon vous, le défi qui déterminera la survie ou la prospérité de la PQR dans les cinq prochaines années, et pourquoi ?

NS : L’enjeu est clair : nous avons un métier en érosion régulière. Cette érosion ne s’arrêtera pas. Nos nouveaux relais de croissance doivent non seulement compenser ces pertes, mais se montrer pérennes. Au sein du groupe Sud Ouest, on a la chance d’être déjà bien engagés dans la diversification. En 2025, pour la première fois, les marges générées par nos métiers en croissance seront supérieures à ce qu’on perd sur le papier. C’est un tournant. On a sorti la tête de l’eau, mais il faut maintenant consolider cette réussite pour qu’elle soit durable. Notre diversification est solide et on peut encore enregistrer une forte croissance sur les abonnements numériques : on a ainsi connu une belle progression en 2024 et on anticipe entre 800 000 et un million d’euros supplémentaires de CA sur les abonnements numériques en 2025. Jusqu’à quand cette croissance va-t-elle durer ? L’objectif, désormais, c’est de maintenir cet équilibre sur plusieurs années. Si nous y parvenons, nous aurons réussi la transformation d’un grand média régional.

PQR… le changement, c’est maintenant ! Les dirigeants vous expliquent POURQUOI et COMMENT la PQR va se réinventer ! Objectif : #PQR2030

DS : Dans cinq ans, quels seront les indicateurs de succès pour la PQR ?

NS : Le premier indicateur, c’est de mesurer, tout simplement, ce que nos nouveaux métiers génèrent comme marge en face de ce que nous perdons comme marge sur le papier. Nous avons, aujourd’hui, quatre relais de croissance principaux. Il y a l’audiovisuel, avec la production de films et documentaires pour la télévision et les plateformes. L’événementiel, bien sûr, avec l’organisation d’événements et le développement de verticales communautaires. Notre agence de stratégie marketing également, qui accompagne des entreprises locales dans leur communication et leur digitalisation. Et, enfin, le digital, avec la croissance des abonnements et le développement de nouvelles offres locales. Ce sont ces piliers qui nous permettent de compenser les pertes du papier et d’assurer l’avenir du groupe.

DS : Sur une échelle de 1 à 10, où situeriez-vous votre groupe en matière de transformation numérique ?

NS : Je pense que nous sommes à 8. On a un bon niveau dans le digital, on est bon sur les abonnements… On a aussi bien progressé sur les audiences, même si c’est un sujet permanent avec un risque systémique, puisqu’elles dépendent beaucoup des GAFA, de leurs règles et de leurs algorithmes. On a bien avancé sur les réseaux sociaux de nos éditeurs, mais il nous reste une belle marge de progression. Enfin, on a un champ très ouvert sur l’Intelligence Artificielle avec des chantiers et applications en cours.

“Toute notre chaîne de valeur doit être passée au crible de l’IA”

DS : Sur quelles plateformes pensez-vous devoir être présents ? Comment vous y prenez-vous ?

NS : Nous sommes présents sur toutes les plateformes, sauf Twitter/X que l’on a quitté il y a deux mois, en même temps que Ouest-France, en raison des contenus non vérifiés. 

On adapte nos stratégies en fonction de l’origine des audiences. Si un lecteur vient chez nous via un moteur de recherche, sans chercher spécifiquement Sud Ouest, on lui propose une expérience de lecture qui ne l’amène pas à l’abonnement, mais avec de la publicité. Si un lecteur arrive via un canal direct ou en recherchant un sujet spécifique sur Sud Ouest, on privilégie une expérience qui l’amène à l’abonnement. 

On a mis en place un Smart Paywall pour affiner cette stratégie. Bien entendu, la politique et la stratégie des plateformes vis-à-vis des médias évoluant dans le temps, on est en veille permanente pour s’adapter à leurs règles.

DS : Comment pensez-vous pouvoir atteindre des publics qui ne recherchent pas activement de l’info locale ? 

NS :  On a une approche très avancée sur ce sujet. J’ai auparavant été chez Webedia et Infopro Digital : on y développait des communautés. J’ai appliqué la même logique chez Sud Ouest. On a identifié des communautés qui ne cherchent pas spécifiquement de l’actualité, mais qui sont engagées autour de centres d’intérêt forts : le vin, le rugby, l’économie et le corporate, le surf… 

Dans le rugby, on a un manager qui développe des activités avec des tournois, des sponsors, un magazine et des remises de trophées. Dans le vin, on a notre marque, Terre de Vins, avec notre magazine, nos événements, mais aussi un club. Cela nous permet de toucher des publics qu’on aurait du mal à capter uniquement par l’actu locale ou généraliste. 

DS : Quelle partie de votre chaîne de valeur est, selon vous, la plus obsolète aujourd’hui, et comment prévoyez-vous de la réinventer pour 2025 ? 

NS : Toute notre chaîne de valeur doit être passée au crible de l’IA. 

Il y a des nouveaux outils qu’on découvre actuellement qui doivent nous permettre de progresser. On peut ainsi évoluer positivement sur tous les maillons de la chaîne de valeur. Ensuite, on travaille régulièrement sur notre offre de journal : on a ainsi lancé un nouvel écrin dédié aux infos économiques dans le journal du jeudi qui nous permet de nous adresser différemment aux entreprises. Le journal papier n’est peut-être pas un produit d’avenir, certes, mais il y a encore 1,2 million de lecteurs de Sud Ouest chaque jour. Il mérite d’évoluer, d’être adapté et de continuer à se transformer. 

DS : Avez-vous automatisé des aspects de la production éditoriale ? Si oui, lesquels, et quel impact cela a-t-il eu sur votre contenu ou vos coûts ?

NS : On a, au total, une quarantaine de sujets d’IA qui sont en test ou en déploiement. Pour la production éditoriale, par exemple, on est en train de déployer un outil pour nous accompagner sur la gestion des papiers des correspondants, qui doit nous permettre de vérifier les sujets, de les cadrer et de les améliorer si besoin est, avec toujours une vérification humaine en dernière étape. 

DS : Quel pourcentage de vos revenus provient aujourd’hui du numérique, et où voulez-vous arriver d’ici 2030 ?

NS : Tout dépend de ce que l’on entend par numérique. 

Le papier représente encore deux tiers du CA du groupe, mais il décline de 3 à 4 points par an. Si cette tendance se poursuit, en 2030, ce sera toujours 50% de notre activité, ce qui reste un volume important. Par ailleurs, sur le journal, on a actuellement 70% d’abonnements papier pour 30% d’abonnements numériques. C’est un ratio très élevé pour la PQR : on est probablement les plus avancés dans la transition numérique, mais on reste très loin des taux de la presse nationale. Le Monde et Libération ont déjà basculé à 70-80% d’abonnés numériques. Notre typologie de lectorat étant différente, je pense qu’il sera plus complexe, pour nous, d’atteindre ces niveaux-là.

DS : Quel modèle non traditionnel (hors abonnements papier ou pub classique) représente la meilleure opportunité de croissance pour vous ?

NS : Quand on a défini nos axes stratégiques il y a deux ans et demi, on les a structurés sur un triptyque : le papier, notre métier historique ; le digital, déjà bien développé ; et l’audiovisuel, le secteur avec le plus de champs de croissance. 

C’est la raison pour laquelle on a racheté le groupe Écrans du Monde en janvier 2024. C’est un groupe spécialisé dans la production télévisuelle pour les chaînes et les plateformes de documentaires, magazines, captations de concerts, films d’animation… Avec, déjà, une belle réussite à notre actif : HBO Max, qui s’est lancé en France, nous a commandé une série documentaire sur l’affaire Kerviel, un programme qui a été très bien noté et qui figure parmi les succès de fin d’année.

Pour nous, la production audiovisuelle est une extension naturelle de notre métier d’information. On produit déjà des vidéos pour nos sites. Et, désormais, on monte en gamme avec des productions pour la télévision et les plateformes. C’est clairement l’un de nos axes de développement les plus prometteurs.

DS : Quelle initiative spécifique avez-vous lancée pour attirer les audiences jeunes, et quels résultats avez-vous obtenus ?

NS : Je dirais qu’on s’appuie sur trois axes principaux. 

Il y a les verticales thématiques sur le rugby, le surf, que j’évoquais précédemment, qui nous permettent de les cibler via leurs centres d’intérêt. J’ai aussi décidé d’offrir à tous les bacheliers de la région Nouvelle-Aquitaine l’accès à sudouest.fr pendant un an. En 2024, cela nous a permis de recruter près de 4 000 jeunes abonnés via cette offre et de diffuser nos contenus et offres auprès d’un public qui ne nous considérait pas comme une source d’information pour eux. On en profite pour lire et décrypter le comportement de cette audience qui est évidemment différent de celui de nos audiences habituelles.

On s’est aussi bien développés sur les réseaux sociaux. Sud Ouest est le premier média de la PQR sur WhatsApp. On a aussi 1,2 million d’abonnés sur Facebook, 300 000 sur Instagram et plus de 200 000 sur TikTok. Toutes ces actions nous permettent d’atteindre les jeunes sur leurs canaux préférés et de les familiariser progressivement avec nos contenus.

DS : Comment gérez-vous le dilemme entre pression publicitaire et indépendance journalistique dans un environnement économique tendu ?

NS : Chez Sud Ouest, il n’y a rien à gérer sur ce sujet, je m’explique: il y a une stricte séparation entre la rédaction et la publicité, qui sont deux univers totalement séparés. Évidemment, ça ne nous empêche pas de construire des produits éditoriaux spécifiques, mais sans jamais altérer l’indépendance de nos rédactions. Un bon exemple : le cahier économique que nous avons récemment lancé. Un format de 8 pages, hebdomadaire, propose de lui-même une lecture plus posée, moins dans l’actualité immédiate et plus propice aux analyses économiques et stratégiques, ce qui intéresse naturellement les annonceurs. Mais à aucun moment le contenu éditorial n’est dicté par les besoins commerciaux. C’est un nouvel écrin qui a été co-construit pour répondre à différentes attentes de nos lecteurs et de nos annonceurs. 

DS : Quelle initiative hyperlocale a eu un impact mesurable (engagement ou revenus) dans les 12 derniers mois ?

NS : J’ai trois exemples concrets en tête. Le premier, c’est une carte géolocalisée des articles. Nous avons lancé cette fonctionnalité permettant aux lecteurs de voir, en temps réel, les articles publiés autour d’eux. 

Par exemple, si vous êtes à Bordeaux, vous pouvez consulter les actualités de votre quartier, des événements municipaux aux faits divers. C’est une expérience ultra-locale qui marche très bien.

Le deuxième, ce sont nos éditions numériques départementales. Sud Ouest couvre sept départements. Nous avons testé une offre qui permet aux abonnés de souscrire uniquement aux informations de leur département. Cela nous permet de capter un public qui hésitait à s’abonner à l’ensemble du journal. On a généré 750 abonnements spécifiques à ces éditions départementales, sans offre de réduction initiale.

Et la troisième, qui est encore en test, c’est une homepage locale personnalisée : une page d’accueil hyper-locale, qui met en avant uniquement les contenus pertinents en fonction de la localisation du lecteur. Cela permet d’offrir une expérience de lecture encore plus personnalisée, en mettant en avant des actualités locales dès l’arrivée sur le site.

Ces trois initiatives montrent que l’hyper-local fonctionne et répond à une vraie demande.


À propos d’Upgrade Media : Upgrade Media est une agence créative, de conseils en stratégie, un centre de formation et de réflexion sur la transformation des médias.

◾️ Nous travaillons pour les médias et les entreprises communicantes, afin d’accélérer leurs transformations numériques, faire évoluer leurs organisations, leurs produits print et numériques, et aussi développer l’agilité des équipes.

◾️ Découvrez notre site Upgrade Media et son Think Tank New World Encounters, pour en savoir plus sur nos projets et notre approche.

◾️ Nous espérons que cet article et nos autres contenus vous inspireront !

Restez informé·e de toutes nos actualités en vous inscrivant à notre Newsletter par e-mail ou via Linkedin.

Merci pour votre lecture.


Bannière de Consentement aux Cookies par Real Cookie Banner