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Jean-Nicolas Baylet (La Dépêche du Midi) : “Dans 5 ans, 50% de notre CA devra venir du numérique”

Jean-Nicolas Baylet

Quand Jean-Nicolas Baylet prend la tête de La Dépêche en 2011, il sait que l’avenir passe par une transformation profonde. Restructurer l’entreprise tout en lançant deux axes majeurs — le virage digital et une agence publicitaire intégrée — lui permet de ramener le groupe à l’équilibre en 2019.
Depuis, place au développement. « Piloter le changement, c’est compliqué, mais avec le temps, on devient expert », confie-t-il. Petit à petit, les succès s’enchaînent, donnant à La Dépêche une place de leader en audience, tout en restant indépendant et rentable. « Aujourd’hui, on est dans l’étape d’après : continuer à innover et avancer. » Entretien avec Jean-Nicolas Baylet, Directeur Général du Groupe La Dépêche du Midi.

DS : Quel est, selon vous, le défi qui déterminera la survie ou la prospérité de la PQR dans les cinq prochaines années, et pourquoi ?

JNB : Notre capacité à réinventer nos revenus. Cela passe par deux axes : d’abord, reconstruire un modèle économique solide autour du média, notamment en réussissant notre transition numérique ; ensuite, diversifier nos sources de revenus.

Je compare souvent cette situation au jeu du limbo : il faut baisser nos coûts pour passer sous la barre sans tomber, et ensuite se redresser pour se développer grâce au numérique. Nous, nous ne sommes pas très loin de le faire et d’y arriver. 

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DS : Dans cinq ans, quels seront les indicateurs de succès pour la PQR ?

JNB : Ce qui me fera dire que nous avons réussi tient en deux points. Premier point, nos revenus numériques compenseront la baisse des revenus du papier, en représentant idéalement 40 à 50 % de notre chiffre d’affaires. Deuxième point, nous maintiendrons un engagement fort de nos lecteurs et conserverons nos parts de marché sur nos territoires.

Au final, ces deux points nous garantiront notre statut de mass média, bien sûr, du point de vue de l’économie de l’information, mais aussi publicitaire. En effet, il s’agira aussi de réussir la migration de l’économie publicitaire papier vers le numérique et d’autres formats innovants. D’ailleurs, nous avons effectué une évolution assez forte, il y a sept ans, en passant du modèle régie publicitaire à celui d’agence de communication. Ce changement de modèle nous permet d’être en croissance publicitaire depuis cinq ans. Aujourd’hui, on est dans l’étape d’après : continuer à innover et avancer.

DS : Sur une échelle de 1 à 10, où situeriez-vous votre groupe en matière de transformation numérique ?

JNB : Entre 6 et 7, selon que je sois pessimiste ou optimiste… 

DS : Pourquoi un tel score ? 

JNB : Nous avons trouvé les bonnes clés et connu nos premiers succès. La vision est claire. Cependant, l’économie numérique est beaucoup plus fragmentée que le modèle papier traditionnel. Pour la partie contenu, il y a : 

  • les abonnements numériques avec ceux qui lisent hors PDF, en déstructuré, et ceux qui lisent avec leur liseuse, 
  • la vente à l’acte de nos éditions PDF,
  • la monétisation issue des droits voisins. 

Et pour la partie pub : 

  • un nombre de formats exponentiel, 
  • une technicité de l’industrie publicitaire qui s’est largement développée sur des supports web, applicatif, smartphone et les réseaux sociaux… 

Piloter le changement, c’est compliqué, mais, avec le temps, nous devons devenir experts dans chacun de ces domaines pour consolider nos revenus.

DS : Sur quelles plateformes pensez-vous devoir être présents ? Comment vous y prenez-vous ?

JNB : Instagram, TikTok et YouTube sont essentiels. Nous ne sommes pas encore sur YouTube, mais c’est notre prochaine étape. Concrètement, nous avons recruté des experts et formé des partenariats stratégiques, notamment en entrant au capital de Konbini, pour renforcer notre présence sur ces plateformes. Notre volonté est d’aller chercher l’intelligentsia, là où elle se trouve. Et donc, chez des médias sociaux comme Konbini, comme Brut, qui nous permettent d’accélérer notre croissance.

Que les choses soient claires : aujourd’hui, c’est un acte de foi. Comme le numérique le fut à ses débuts. À La Dépêche, nous étions de ceux qui disaient qu’il fallait y aller et ne pas se poser la question de la monétisation… car la monétisation suivrait. Désormais, nous sommes dans un schéma assez similaire au sujet des médias sociaux. Il faut y aller. Certes, il n’y a pas encore de monétisation, mais elle suivra.

“Notre stratégie vidéo et réseaux sociaux est un tournant majeur”

DS : Parmi vos projets en cours, lequel pourrait changer la donne pour votre modèle économique ou votre lien avec le public en 2025 ?

JNB : Notre stratégie vidéo et réseaux sociaux, lancée en 2024. Un tournant majeur ! Avec l’arrivée en avril 2024 de Sébastien Olland, ancien rédacteur en chef adjoint de Brut, nous avons développé un pôle vidéo de sept personnes. Nous sommes passés de 0 vidéo à 66 millions de vues pour le mois de novembre 2024. Avec beaucoup d’effets positifs :

  1. de nouvelles audiences avec des possibilités de monétisation, notamment grâce au brand content, ce qui nous permet de tirer avantage des réseaux sociaux en utilisant les audiences de notre marque.
  2. aller chercher une audience très jeune, qui répond très positivement à notre marque. Et la PQR en a besoin !

En somme, cette stratégie est structurante, à la fois en termes de monétisation publicitaire, mais aussi sur la façon de faire de l’information. Quand on produit de l’information pour TikTok ou pour le journal, ce sont bien deux façons de faire de l’info, mais entre ces deux façons de faire, il y a une grande palette de formats, de synergies, de styles d’écritures qui se répondent les uns aux autres. C’est absolument passionnant et cela donne de l’avenir à nos médias.

DS : Comment pensez-vous pouvoir atteindre des publics qui ne recherchent pas activement des « actus » ? 

JNB : Si l’on adapte les styles d’écriture à la réalité des médias sociaux, on rencontre tout de suite le succès. L’enjeu est donc de maîtriser les différents styles d’écriture propres à chaque plateforme et de proposer un contenu bien calibré. Nous avons pris le temps de bien comprendre ces leviers, car faire des choses médiocres peut se retourner contre l’éditeur en se mettant à dos les algorithmes. Et nos chiffres de croissance vidéo sont là pour le prouver. 

DS : Quelle partie de votre chaîne de valeur est, selon vous, la plus obsolète aujourd’hui, et comment prévoyez-vous de la réinventer pour 2025 ?

JNB : Obsolète… C’est fort. Mais nous avons des parties de nos métiers, notamment celles qui touchent à la chaîne de production du papier et la logistique, qui méritent effectivement d’être réinventées. L’enjeu ? Des économies pour réinvestir dans le numérique et la diversification.

DS. Quel pourcentage de vos revenus provient aujourd’hui du numérique, et où voulez-vous arriver en 2030 ?

JNB : Aujourd’hui, 20 % de nos revenus proviennent du numérique. L’objectif est d’atteindre 40 à 50 % dans cinq ans.

DS. Quel modèle non traditionnel (hors abonnements papier ou pub classique) représente la meilleure opportunité de croissance pour vous ? 

JNB : L’événementiel et la diversification autour des festivals sont des opportunités majeures pour notre groupe, avec près de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024.

La diversification se fait beaucoup par opportunités, mais je crois qu’il faut être ouvert, d’autant plus lorsque cela concerne notre territoire. 

Ainsi, nous avons investi dans une brasserie. Cela peut paraître tout à fait anecdotique, sauf que c’est une brasserie sur la place du Capitole, la place principale de Toulouse, et nous allons pouvoir y réaliser des opérations rédactionnelles, publicitaires, événementielles… Nous sommes d’ailleurs en discussion pour racheter un nouveau festival. Mais nous ne nous arrêtons pas là, nous rachetons aussi des petites start-ups technologiques, par exemple. 

Idéalement, il faut trouver une synergie intelligente avec nos métiers et le groupe La Dépêche du Midi.

DS. Quelle initiative spécifique avez-vous lancée pour attirer les audiences jeunes, et quels résultats avez-vous obtenus ?

JNB : L’enjeu est simple, il faut aller chercher les jeunes audiences là où elles sont. En l’occurrence, les réseaux sociaux. Alors qu’auparavant nous ne postions que des liens vers nos contenus, notamment sur Facebook, aujourd’hui, nous adoptons pleinement une écriture spécifique avec les codes des réseaux. Et cela fait toute la différence : on génère de l’engagement et le jeune public est très réactif.

DS. Comment gérez-vous le dilemme entre pression publicitaire et indépendance journalistique dans un environnement économique tendu ?

JNB : Il y a une indépendance totale de la rédaction par rapport à la publicité. Nous avons de solides chartes éditoriales en place. Et nous sommes aussi clairs avec nos annonceurs : même s’ils passent de la publicité chez nous, nous traitons l’information et nos journalistes sont totalement libres dans leurs choix et leur écriture.

DS. Avez-vous automatisé des aspects de la production éditoriale ? Si oui, lesquels, et quel impact cela a-t-il eu sur votre contenu ou vos coûts ?

JNB : Nous avons lancé une « IA Factory » en interne, rassemblant des early adopters. L’objectif est d’explorer l’IA pour améliorer notre productivité, sans remplacer nos équipes. Concrètement, nous avons fait un appel à l’ensemble des équipes pour identifier et rassembler ceux qui sont intéressés ou en avance sur ce sujet, sans les sortir des services auxquels ils appartiennent. Nous leur dégageons du temps pour qu’ils puissent réfléchir entre eux et faire des tests, afin de comprendre comment l’IA va nous permettre de mieux travailler. Cette démarche concerne la rédaction, mais aussi la publicité et les services supports. Aujourd’hui, nous sommes suffisamment avancés pour lancer des tests grandeur nature. Nous avons des journalistes qui utilisent déjà quotidiennement des prompts d’IA pour améliorer leur copie, ou encore travailler leur syntaxe. L’étape d’après, c’est que l’on puisse aborder des notions d’édition assistées par l’IA.

La finalité ? Gagner du temps sur l’administratif ou l’édition pour le consacrer toujours plus au contenu !

DS. Quelle initiative hyperlocale a eu un impact mesurable (engagement ou revenus) dans les 12 derniers mois ?

JNB :  Nous avons beaucoup accéléré sur les newsletters qui ont permis d’améliorer de 25% l’engagement en local. Nous avons également développé, dans le cadre de notre stratégie sur les réseaux, la production de vidéos sociales qui ont généré beaucoup d’engagement par nos journalistes des différentes agences.


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