Trop d’attentes ou d’espoirs déraisonnables, pas assez de stratégie. L’IA générative promet, mais elle inquiète aussi. Voici pourquoi les éditeurs doivent rester lucides.
Le mardi 17 juin, j’accueillerai Emmanuel Parody à Médias Pionniers. Voici pourquoi il vous faut absolument l’écouter.
Une technologie pleine d’illusions
« L’IA générative, il y a beaucoup d’attentes, et en fait, la crainte, c’est justement l’attente » explique Emmanuel Parody. Consultant en modèles économiques des médias et ancien dirigeant de grandes marques numériques comme ZDNet ou Gamekult, il connaît bien les cycles d’engouement. Et selon lui, celui autour de l’IA pourrait bien échapper à tout contrôle rationnel. Les éditeurs espèrent des gains massifs de productivité, une production de contenus plus riche et plus rapide. Mais ils oublient souvent de se poser une question essentielle : est-ce que cette technologie est réellement conçue pour ce que l’on veut en faire ?
Des paradoxes productifs… mais uniformes
L’adoption massive de l’intelligence artificielle dans les rédactions pose un dilemme fondamental. « Si vous le faites, votre concurrent peut le faire, avec exactement la même technologie » rappelle Emmanuel Parody. Les éditeurs risquent donc une uniformisation des contenus, avec un avantage concurrentiel réduit à néant. Même productivité, même volume, même qualité de surface. La véritable différenciation ne viendra pas de l’outil, mais de la ligne éditoriale, de la marque média, de la capacité à rester pertinent dans un océan de contenus générés.
Une IA qui fragilise la distribution
Le coup le plus rude pourrait bien venir des moteurs de recherche eux-mêmes. « L’introduction de l’IA comme moteur de réponse » change radicalement les règles du jeu. Selon l’étude d’Axios Media Trends citée par Parody, 64 millions de visites ont déjà été perdues via le search traditionnel, quand les chatbots n’en génèrent que 5 millions. Pire : l’IA promet d’être un « très mauvais redirecteur de trafic ». Même si elle cite les sources, la proportion de clics vers les éditeurs est déjà mesurée à un niveau très inférieur à celui du SEO classique. Résultat : un nouveau trou d’air dans les audiences, sans relais évident. Le consensus actuel entre les experts du SEO c’est une perte de 30 à 40% minimum de trafic en cas de déploiement de l’Ai overview par Google.
L’IA ne peut pas remplacer les journalistes
Emmanuel Parody est clair : « Je pense que c’est un fantasme ». L’IA, malgré son nom, n’est pas intelligente. Elle ne comprend pas ce qu’elle dit. Et elle repose sur des données externes pour produire du contenu crédible. Sans contenus fiables, elle s’effondre. Si on « lâche le guidon » pour laisser l’IA produire seule du contenu , on est à la merci des hallucinations et les tests sont très inquiétants sur ce point. A moins de se contenter de synthèses d’articles existants les résultats nécessitent du contrôle donc réintroduire le travail humain, et avec de l’expertise. On est en général en deçà de l’exigence journalistique (citations, vérifications, sources de terrain). Le risque est de produire « un volume extraordinaire de contenu… d’une qualité journalistique extrêmement médiocre ». C’est toute la proposition de valeur des médias qui se diluerait.
Bien sûr, a contrario, tous ceux dont l’ambition éditoriale est médiocre et considèrent un média comme un simple support de communication, vont s’enthousiasmer et même gagner en qualité. Parce que la mauvaise monnaie chasse la bonne, l’univers des médias gratuits se transformera pour trouver un nouvel équilibre économique, un peu comme une nouvelle restauration à base de nuggets insipides.
Un gain de productivité marginal
La question est avant tout industrielle: pour avoir un impact sur le modèle des medias il faut démontrer la capacité à démultiplier le volume de production ou réduire drastiquement les coûts de production unitaires. Les retours contredisent totalement ce scénario et si les moteurs de recherche commencent à sanctionner les contenus synthétiques ce sera le baiser de la mort. Le consensus qui se dégage au sein des éditeurs “sérieux” c’est une IA qui sera une assistante de production pour les journalistes et une productrice pour des services périphériques (newsletters, contenus froids ou à visée marketing). Cela signifie que le gain de productivité ne sera que marginal même s’il sera bon à prendre.
Un rôle d’assistance, pas de substitution
L’IA a une place : celle d’un « assistant permanent ». Traduction automatique, résumés, aide à la documentation : autant de tâches où elle peut soulager les rédactions. Mais selon Emmanuel Parody, « la vraie question, c’est le niveau de valeur ajoutée qu’on veut atteindre ». Produire plus n’a d’intérêt que si l’on reste capable d’informer mieux. La course au volume pourrait faire oublier l’essentiel : la pertinence, la vérification, l’originalité.
L’IA va-t-elle transformer les médias ? Sans doute. Mais l’erreur serait d’y voir une baguette magique. Elle ne remplacera jamais ce qui fait la force d’un média : une ligne claire, une voix forte, une relation solide avec son audience.
Elle aura peut être un effet positif en fin de compte, en concentrant la stratégie éditoriale sur la vraie valeur ajoutée.
Inscrivez-vous à la session du 17 juin – 14h30 !
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